Veille sécuritaire – 18 octobre 2021

Afrique – hors Afrique du Nord
Afrique du Nord & Moyen-Orient
Moyen-Orient : Téhéran et Bakou privilégient la voie du dialogue
Mercredi 13 octobre, l’Azerbaïdjan et l’Iran ont annoncé avoir décidé de régler leurs différends par « le dialogue » après un entretien téléphonique mardi soir entre le Ministre iranien des affaires étrangères H. Amir-Abdollahian et son homologue azerbaïdjanais J. Bayramov.
Cet appel téléphonique fait suite aux reproches iraniens à l’Azerbaïdjan d’adopter une attitude trop conciliante envers Israël notamment en autorisant la présence sur son sol de militaires israéliens. Malgré les dénégations de l’Azerbaïdjan, Téhéran a répondu par des manœuvres militaires dans le Nord-Ouest du pays à la frontière avec l’Azerbaïdjan dès le 1er octobre, engageant chars, obusiers et hélicoptères. « Nous ne tolérons pas la présence d’éléments du régime sioniste […] dans la région » déclarait à la télévision d’Etat le commandant des forces terrestres de l’armée, le Gen. K. Heydari. Cette réaction iranienne vis-à-vis de la politique azerbaïdjanaise témoigne de la méfiance de Téhéran face à la montée de l’influence d’Israël en Azerbaïdjan. Israël reste par ailleurs le principal fournisseur d’équipements militaires de l’Azerbaïdjan, détériorant ainsi progressivement les relations Iran-Azerbaïdjan, traditionnellement bonnes.
« Tout différend devrait être réglé par le dialogue » affirmait J. Bayramov dans un communiqué officiel mercredi, attestant d’une reprise normale des relations bilatérales. Néanmoins, l’influence israélienne croissante dans la région demeure un facteur aggravant de tensions pour Téhéran qui ne cesse d’agiter la menace d’un conflit armé face à Israël (qualifié de « régime sioniste ») avec le risque d’un affrontement potentiellement nucléaire. Par Paul Baudot
Moyen-Orient : L’UE souhaite reprendre les négociations sur le dossier du nucléaire iranien
Jeudi 14 octobre, une délégation de l’UE avec à sa tête le négociateur en charge du dossier Enrique Mora était à Téhéran afin de fixer une date pour la reprise des négociations sur le nucléaire iranien. Pendant plus de deux heures, E. Mora et le Vice-ministre des affaires étrangères A. Bagheri ont échangé sur une date potentielle de négociations sur le nucléaire iranien.
Pour l’Europe, l’objectif reste de convaincre définitivement l’Iran de revenir sur les négociations de son programme nucléaire et de sauver ainsi l’accord sur le nucléaire iranien (JCPoA) signé en 2015 et durement mis à mal par le retrait américain en 2018 sous la présidence de D. Trump. Néanmoins, les objectifs de Téhéran demeurent flous depuis la victoire du conservateur E. Raïssi à la présidentielle, tranchant avec la politique de compromis de son prédécesseur H. Rohani. D’autant plus que l’Iran poursuit son enrichissement d’uranium et a annoncé le 10 octobre posséder un stock de 120kg d’uranium enrichi à 20%, toujours dans une perspective d’abandon des engagements de l’accord de Vienne.
Les négociations ce jeudi 14 octobre ont par ailleurs eu lieu dans un climat de tensions, après que le secrétaire d’Etat américain A. Blinken ait reproché « le manque de volonté iranienne » dans la reprise du dialogue sur le nucléaire. Selon lui, une « solution diplomatique est la meilleure manière » d’empêcher que la République islamique devienne une puissance nucléaire, mais il a toutefois mentionné le recours à l’option militaire contre Téhéran si les négociations sur le nucléaire se révélaient être un échec. L’UE a salué le souhait du président américain J. Biden de revenir dans l’accord si l’Iran renouait avec ses engagements. Cependant, la crainte de voir Téhéran jouer la montre, afin d’avancer le plus loin dans son programme nucléaire, devient grandissante du côté de l’UE et surtout des Etats-Unis et d’Israël. Par Paul Baudot
Moyen-Orient : Des potentielles coupures d’électricités en Iran du fait du minage de cryptomonnaies
Ce jeudi 14 octobre, la compagnie publique d’électricité iranienne a sonné l’alarme face à une menace de pannes d’électricité pour cet hiver à cause du minage de cryptomonnaies. En effet, les fermes de cryptomonnaies entraînent une surconsommation d’électricité et cette pratique énergivore a déjà provoqué des pannes d’électricité en été 2021, suscitant à l’occasion la colère des habitants. De fait, les 14 fermes légales de Bitcoin consomment environ 300 mégawatts-heure (MWh) selon les chiffres officiels, mais ceux-ci seraient largement sous-évalués notamment à cause des fermes illégales qui pratiquent clandestinement cette activité. Des estimations indépendantes certifient que ces fermes coûteraient à l’Iran le double d’énergie, mettant à mal son système de distribution d’électricité déjà en peine. L’Iran a été l’un des premiers pays à légaliser le minage de cryptomonnaie, en particulier le Bitcoin, en septembre 2018 à condition d’obtenir une autorisation préalable auprès des autorités. Les Iraniens ont d’ailleurs découvert que les fermes les plus consommatrices étaient tenues par des investisseurs chinois, dont la plus grande appartient à l’entreprise RHY.
Dernière découverte surprenante : des appareils de minage de cryptomonnaies découverts dans les sous-sols de la Bourse de Téhéran, ce qui a conduit à la démission le 1er octobre du président de cette institution A. Sahraï. L’Etat iranien a par ailleurs affirmé que les descentes de police dans les centres illégaux de minage seront plus régulières afin de mettre fin à cette situation. Toutefois, le vent commence à tourner progressivement en défaveur des cryptomonnaies en Iran, alors que la situation électrique empire. Les transferts de cryptomonnaies et le minage de celles-ci restent un moyen pour Téhéran d’atténuer les effets des sanctions américaines qui étouffent son économie. Par Paul Baudot
Amériques et Caraïbes
Amérique centrale : Crise migratoire et humanitaire en Amérique centrale
Plus de 150 000 migrants (dont une grande majorité d’Haïtiens et une minorité de Cubains) traverseront cette année la frontière entre la Colombie et le Panama selon les estimations du gouvernement panaméen. Depuis le début de l’année, environ 100 000 personnes ont déjà traversé cette frontière à pied marquant le passage de l’Amérique du sud à l’Amérique centrale, qui ouvre sur la région du Darién, longue de 200km, où la présence de groupes armés et la jungle dense rendent la traversée particulièrement difficile. Plus de 1000 personnes par jour tentent de traverser la frontière afin de remonter vers le Mexique, les États-Unis et le Canada. La plupart proviennent du Chili ou du Brésil, pays où ils s’étaient dirigés suite au tremblement de terre qui a dévasté Haïti en 2010 (faisant plus de 220 000 morts et 300 000 blessés) et sont en transit entre ces pays qui ne constituent que le début de leur périple. « Ce n’est pas un problème qui peut être résolu par un seul pays » a déclaré Erika Mouynes, la ministre des relations extérieures du Panama. Il s’agit en effet d’une crise régionale qui risque de s’aggraver avec la crise humanitaire actuelle en Haïti suite au séisme d’août 2021.
Le Mexique est d’ailleurs apparu comme un nouveau pays d’accueil pour ces migrants avec environ 15 000 demandes d’asile d’Haïtiens enregistrées par la Commission d’Aide aux Réfugiés du Mexique (Comar). De plus, l’arrivée au pouvoir de Joe Biden a participé à l’augmentation de l’immigration haïtienne aux États-Unis en envoyant un message plus positif à l’égard des migrants que l’administration Trump.
- Source : El éxodo silencioso de los haitianos en América Latina, El País, 9 Oct. 2021
Par Hugo Cerrajero
La Chine intègre l’Amérique centrale et les Caraïbes dans sa stratégie élargie des « nouvelles routes de la soie »
A l’occasion du « Deuxième Forum académique de haut niveau CELAC – Chine » et du « Sixième Forum de think tank Chine – Amérique latine et Caraïbes » qui a eu lieu lors de la première semaine d’octobre, la Chine a annoncé vouloir investir massivement dans la région dans le cadre de son projet des « nouvelles routes de la soie ». De nombreux représentants d’institutions chinoises étaient présents lors de ces forums comme l’Institut des Relations Internationales du Peuple chinois ou encore le Ministère chinois des Relations Extérieures : ces derniers ont affirmé vouloir investir dans les pays de la région à travers deux organisations régionales majeures que sont la CEPAL (Commission Économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes) et la CELAC (Communauté d’États latino-américains et caribéens) dans le but de relancer leur croissance économique, d’accélérer leur transformation et de lutter contre les effets de la pandémie de covid-19.
Les pays latino-américains et caribéens doivent en effet satisfaire leurs besoins d’investissements structurels dans l’innovation, l’action climatique, l’accès à la production de vaccins, ou encore dans les programmes de lutte contre la pauvreté et les inégalités. 19 pays de la région se sont déjà positionnés en faveur de l’approfondissement du projet des « nouvelles routes de la soie » chinoises en Amérique latine, ce qui conduira à moyen terme à une amélioration de la connectivité aérienne, maritime, sanitaire, culturelle et digitale entre la Chine et les pays latino-américains et caribéens. Le lien de ces pays avec la puissance chinoise s’est renforcé depuis la crise du covid-19 puisque la Chine a fourni de très nombreux pays de la région en vaccins (implantation de sites de production de vaccins au Mexique notamment). En outre, ces investissements chinois ont été essentiels à la mise en place du « plan d’autosuffisance sanitaire pour l’Amérique latine et les Caraïbes » approuvé par le CELAC le 18 septembre dernier.
Toutefois, cette coopération accrue est aussi synonyme de dépendance pour les pays du CELAC qui tentent, sans aucun doute, de s’émanciper de la tutelle américaine en diversifiant leurs accords de coopération et d’investissement. Par Hugo Cerrajero
Amérique centrale : « AMLO » veut mettre en place une nouvelle organisation régionale afin de concurrencer l’Organisation des États Américains (OEA)
Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (connu sous le pseudonyme de « AMLO ») souhaite fonder une organisation régionale ayant pour objectif de contrer l’OEA qu’il accuse d’être vectrice de la préservation des intérêts des États-Unis en Amérique latine. L’OEA, basée à Washington, réunit tous les pays du continent américain sauf Cuba (depuis la crise de 1962) et le Venezuela, et a été créée au départ, en 1948, pour éviter toute expansion communiste sur le continent.
Depuis le début de son mandat en 2018, le président mexicain cherche à se poser en alternative au leadership américain. Il tente aussi de jouer le rôle de médiateur régional comme lors de sa demande de levée de l’embargo américain sur Cuba, mais la crise avec l’OEA a véritablement débuté en 2019 lorsque le Mexique a accueilli le président bolivien déchu Evo Morales. Fidèle aux principes constitutionnels de politique extérieure mexicaine et à la doctrine Estrada (principes de « non-intervention », d’« autodétermination des peuples » et de « solution pacifique des conflits »), la diplomatie mexicaine actuelle dénonce l’impérialisme américain et justifie sa proposition au nom de « la défense de la souveraineté des nations et de l’équité entre elles ». « AMLO » profite ainsi de sa présidence temporaire à la CELAC (Communauté d’États latino-américains et caribéens) pour imposer cette idée d’émancipation.
Il s’agit cependant d’une stratégie risquée pour le Mexique qui dépend largement de son voisin américain (son premier partenaire commercial avec 80 % de ses exportations qui sont à destination des États-Unis). Par Hugo Cerrajero
Europe & Russie
UE : Sommet UE-Balkans en Slovénie
Le 6 octobre dernier, au château de Brdo (Slovénie), les 27 Etats membres de l’Union européenne (UE) ont rencontré six partenaires des Balkans occidentaux (l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la République de Macédoine du Nord et le Kosovo) afin d’adopter une déclaration réaffirmant le soutien de l’UE à la perspective d’intégration des Balkans occidentaux à l’organisation.
Les Etats de la péninsule balkanique ont en contrepartie réaffirmé leur attachement aux valeurs et principes européens.
Mais, loin de concrétiser les rêves d’intégration des Balkans, le sommet a laissé un goût amer. En effet, si la déclaration de Brdo exprime la volonté de l’UE de s’élargir aux Etats de la péninsule balkanique, elle ne donne aucun élément de concrétisation du projet: ni le calendrier, ni les mesures n’ont été fixées.
Ce manque de concrétisation s’explique, entre autres, par le scepticisme de certains Etats membres (notamment de la France, du Danemark, et des Pays-Bas) quant aux capacités des Etats péninsulaires pour atteindre les exigences économiques et démocratiques de l’UE; des craintes appuyées par les multiples rapports de la Commission européenne.
La déception fait consensus au sein des Etats candidats: « C’est une grande injustice, un manque d’équité envers les citoyens de notre pays », s’est indigné le Premier ministre kosovar, Albin Kurti. Le président serbe, lui, ne semble plus se faire d’illusions quant à une adhésion rapide à l’UE: « Actuellement, l’élargissement aux Balkans n’est ni un thème dominant ni un thème populaire », a-t-il lancé.
L’impatience se faisant sentir, les Etats candidats ont décidé que sans avancées européennes significatives, ils finaliseraient leur propre projet de libre circulation initié en 2019. Il faudra alors que l’UE soit consciente que faute de pouvoir compter sur elle, les Balkans se tourneront vers d’autres puissances telles que la Chine, la Russie ou encore la Turquie. Par Emma Brun
Russie : Ouverture du gazoduc Nord Stream 2
Fruit d’une volonté russe de contourner l’Ukraine et les États baltes pour acheminer son gaz en Europe occidentale, la construction du gazoduc Nord Stream 2 a fait l’objet de tractations diplomatiques agitées depuis le début de sa construction. En effet, dès 2019, les États-Unis ont exercé des sanctions contre les entreprises partenaires du projet. Cependant, les États d’Europe de l’Ouest étaient et restent trop dépendants au gaz pour abandonner Nord Stream 2. De fait, le gaz naturel couvre 25% des besoins énergétiques en Allemagne ; 22% en Autriche ; 15% au Danemark et en France ; et près de 40% en Angleterre (chiffres de 2019). Or 70% du gaz utilisé en Europe est importé, provenant à 47% de Russie, à 34% de Norvège, et à moins de 8% d’Algérie. La Russie et la Norvège, livrant ensemble 81% du gaz que l’Europe importe, sont donc en situation d’oligopole. Les récentes hausses du prix du gaz (et des prix de l’énergie en général) sont, en bonne partie, dues à l’augmentation rapide de la demande depuis 2021 faisant suite à la récession de 2020 liée au Covid. Les résultats insatisfaisants de certaines productions d’énergies renouvelables risquent de donner au gaz une place plus importante dans le mix énergétique européen de cet hiver. Dans ces conditions, les États d’Europe ne peuvent qu’espérer une baisse des prix du gaz, ce qui se produira si l’offre augmente. En l’occurrence, le remplissage de Nord Stream 2 démarré le 4 octobre permettra bientôt à la Russie de doubler ses exportations par la voie Baltique. Le gazoduc Baltic Pipe reliant la Norvège à la Pologne, prévu pour octobre 2022 contribuera aussi à renforcer l’offre de gaz en Europe. Cependant, au vu des estimations de réserves de gaz des pays fournisseurs, il semble qu’à long terme, un monopole russe devienne quasi-inévitable. Par Luc Mora
Ukraine : Tensions récentes autour de la Crimée
Il semble que Kiev ait récemment contribué à complexifier les ambivalentes relations russo-turques. Rappelons qu’Ankara et Moscou sont opposés sur les questions géopolitiques (Syrie, Libye), mais constituent de plutôt bons partenaires en matière d’armement (S-400). Quant à la Russie et l’Ukraine, elles entretiennent une hostilité ouverte depuis la révolution de Maïdan (2014) ayant entraîné aussi bien le séparatisme du Donbass que le rattachement de la Crimée à la Russie. Opposée à la montée en puissance de la Russie en mer Noire, Kiev ne peut que bien s’entendre avec Ankara, une relation qu’elle souhaite développer. La tribune internationale « plateforme de Crimée » proposée par Zelensky s’est réunie pour la première fois le 23 août dernier, matérialisant le soutien formel de 56 pays à la cause de la restitution de la Crimée à l’Ukraine. En outre, le Ministre urkrainien Kouleba et son homologue turc Çavuşoğlu se sont rencontrés à Lviv le 7 octobre pour discuter de la réalisation de l’accord visant à créer des camps d’entraînement et de maintenance de drones militaires en Ukraine, signé le mois dernier. Les drones Bayraktar proposés par la Turquie se sont en effet illustrés par leur efficacité lors de la guerre du Haut-Karabakh (2020). Çavuşoğlu n’a pas hésité à rappeler les positions de la Turquie, invitant la Russie à renoncer aussi bien à la Crimée qu’à l’Abkhazie. Kouleba prend acte des protestations russes qu’il estime témoigner de son succès : « La plateforme de Crimée est un coup puissant porté à Poutine […] par conséquent, nous comprenons et apprécions sa réaction émotionnelle. Elle signifie que nous agissons bien et efficacement […] Je pense que c’est la meilleure réponse aux démonstrations de mécontentement de la Russie à la Turquie ». Par Luc Mora