Les relations russo-ukrainiennes, controverses identitaires et tensions géopolitiques

Auteur : Luc Mora
Suppression de la représentation permanente de la Russie auprès de l’OTAN, utilisation de drones Bayraktar sur le front du Donbass, crispations autour de la question gazière, les évènements récents en provenance d’Europe de l’Est ne manquent pas de témoigner d’un durcissement des relations entre d’une part la Russie et la Biélorussie, d’autre part l’Occident. Face à face dans le Donbass(1), la Russie et l’Ukraine sont les deux principaux leviers de ces tensions. Entre ces deux pays, des revendications opposées, légitimées par deux lectures antagoniques de l’histoire, et deux perceptions identitaires. À une querelle fratricide se superpose aujourd’hui les luttes d’influences entre deux pôles géopolitiques. Est-il seulement possible d’élucider une partie de ce nœud international ? Nous proposerons dans cet article une approche historique et actuelle des relations russo-ukrainiennes, et tenterons de part un regard extérieur, d’effectuer une lecture objective des contentieux.
I – Histoire, identité russe et identité ukrainienne
Qui n’a jamais entendu dire que la Russie est née à Kiev, ou au contraire, que les Russes ne sont pas de véritables Slaves contrairement aux Ukrainiens ? Difficile de proposer un récit dépassionné de l’histoire de la Russie et de l’Ukraine lorsqu’il s’agit d’en retracer les origines. En effet, ces questions historiques sont foncièrement politiques, car elles servent de fondations aux romans nationaux ukrainien et russe, chacun au service d’une conception identitaire propre, et d’une orientation géopolitique actuelle. Revenons aux fondamentaux, et en premier lieu, au moyen de l’étymologie et de la linguistique. Le russe et l’ukrainien sont apparentés, plutôt proches, et partagent des racines slaves. L’un et l’autre sont issus d’une langue morte parlée entre le VIIIe et le XIVe siècle appelée le Slave oriental (ou vieux russe). Le mot Russie (Россия) dérive d’un terme plus ancien, « Rus » (Русь), tandis que le mot Ukraine signifie étymologiquement « au bord » (у края). Entre le VIIIe et le XIVe siècle, le terme de Rus recouvre l’ensemble des territoires où vivent les Slaves orientaux. La Rus est donc un « pays » au sens ethno-culturel. Quant au plan politique, difficile de parler d’État avant l’époque moderne, plus encore concernant les confins orientaux de l’Europe. On fait classiquement remonter la « nation » Rus au règne de Riourik, fondateur de Novgorod ou d’Oleg le Sage, grand-prince (князь) de Kiev. La Rus est parcourue de nombre de principautés (княжества) mais leur pouvoir reste embryonnaire. Kiev étant la plus importante et la plus développée, elle donne son nom à ce que l’on appelle aujourd’hui la « Russie kiévienne ». De fait, depuis les origines jusqu’au Moyen-Âge tardif, la Rus est une civilisation plutôt homogène.
L’histoire de la Russie et de l’Ukraine ne commence donc à diverger qu’au XVe siècle, après les invasions mongoles et tatares. À l’Ouest, la république des deux nations (Pologne-Lituanie) annexe environs un tiers de la Rus (principautés de Galitch, Turov, Kiev, Polotsk, Smolensk, Tchernigov). À l’Est, le reste des principautés se fait progressivement phagocyter par la Moscovie. Se faisant hégémon de toutes les principautés russes (hors Pologne), le moscovite Ivan le Terrible prend le titre de César (Tsar) au XVIe siècle. Cette partition entre la Rus moscovite et la Rus polonaise n’est cependant pas définitive. Dès le XVIIe siècle, Kiev et Smolensk sont arrachées à la Pologne. Fondant une nouvelle capitale à Saint-Pétersbourg, le Tsar Pierre le Grand se considère seigneur légitime de ce qu’on appelle alors la « petite Russie » (Ukraine) et de la « Russie blanche » (Biélorussie). En 1682, Pierre le Grand se proclame « Tsar de toutes les Russies » (Царь всея Руси). La prétention devient réalité avec le partage de la Pologne à la fin du XVIIIe siècle. Ainsi, le destin de l’Ukraine reste lié à la Russie jusqu’à la chute de l’URSS il y a une trentaine d’années(2). À vrai dire, jusqu’à la Première guerre mondiale, il est quasi impossible de dire sur base de critères démographiques objectifs, où s’arrête l’Ukraine et où commence la « grande Russie ». Comment distinguer un Russe d’un Ukrainien, si ce n’est en lui demandant son avis ? Justement, ce sondage est effectué lors du grand recensement de 1897. Résultat, l’appellation de « petits Russes » est revendiquée par une partie des habitants de l’actuelle Ukraine, mais aussi du Sud de l’actuelle Russie jusqu’aux portes du Caucase. Néanmoins, l’ensemble du monde slave oriental se reconnaît encore majoritairement dans l’appellation de « Russe », y compris en actuelle Ukraine. Bref, au sein de la Russie impériale, les contours de cette fameuse Ukraine restent pour le moins hasardeux.

Résultats du recensement impérial de 1897
Il était certainement nécessaire de consacrer deux paragraphes à l’éclaircissement de ces généralités historiques essentielles à la compréhension des relations russo-ukrainiennes contemporaines. Cherchant à rompre avec la Russie et à s’insérer pleinement dans l’hémisphère occidental, Kiev a sa propre lecture de l’histoire, dans laquelle la Russie a toujours été un occupant, un envahisseur. Cherchant à se protéger de l’OTAN, Moscou compte aussi sur l’histoire pour légitimer une influence sur l’Ukraine, et en particulier sur ses régions orientales et méridionales.
Le récit proposé par les nationalistes ukrainiens, celui d’une nation séculaire étouffée par le joug russe est-il raisonnable ? Les Russes sont-ils de « faux Slaves », des envahisseurs cherchant toujours à écraser l’Ukraine comme l’ont prétendu Duchiński(3) et Bandera(4), ou comme le prétendent encore les militants du secteur droit et de Svoboda(5) ? À l’évidence, non, car les liens entre ces peuples sont indéniables, car l’Ukraine trouve difficilement une antériorité historique(6), et surtout, car le discours des nationalistes ukrainiens ne peut fonctionner que dans l’Ukraine occidentale. Le Sud et l’Est de l’Ukraine, moins influencés par la Pologne, sont restés culturellement et linguistiquement plus proches des Russes. Du Yédisan à la Kouban en passant par le Priazovie, dans cette région dite de la « nouvelle Russie » (Новороссия), plusieurs villes ont été fondées par les Tsars du XVIIIe siècle(7). Dans le Sud et l’Est de l’Ukraine, certaines des villes les plus importantes, fondées par les Russes, n’ont finalement jamais été « ukrainiennes » : Iekaterinoslav(8), Odessa, Sébastopol en sont de bons exemples. Ne parlons même pas du Donbass ou de la Crimée, qui n’ont jamais été conquis par la Pologne, et qui aujourd’hui encore sont des territoires où la langue ukrainienne est quasi inexistante.
L’histoire témoigne-t-elle donc plutôt pour le récit national russe ? L’occupation polonaise fut-t-elle une anomalie rectifiée par l’unification de tous les Russes à la fin du XVIIIe siècle ? Les Russes et les Ukrainiens sont-ils, selon les mots de V. Poutine « un seul peuple, un même ensemble(9)» ? Vraisemblablement pas non plus, car les trois siècles de règne polonais en Ukraine(10) et en Biélorussie ont fait naître une autre identité, bel et bien distincte de l’identité russe. Assimilant de nombreux mots polonais, le biélorusse et l’ukrainien se dotent d’un lexique particulier, et ne connaissent pas les fortes influences du slavon d’église qui contribuent à forger les normes de l’orthographe et de la grammaire russe. Tournés vers Varsovie plutôt que vers Moscou, ceux que les Polonais appellent « Ruthènes » s’occidentalisent, en particulier dans les territoires les plus à l’Ouest. Tandis que la noblesse polonaise nourrit une relation fusionnelle avec les terres de Galicie et de Volhynie(11), les élites ruthènes s’approprient la langue polonaise dans leur tradition littéraire(12). Bref, lorsque la Russie récupère ce qu’elle considère comme des territoires perdus, il existe déjà en Ukraine un embryon de conscience nationale et les fondations d’une culture propre. Ainsi, au XIXe siècle, de nombreuses voix s’élèvent pour condamner le panslavisme russe et regretter l’époque polonaise, tandis qu’au XXe siècle, une part importante de la population ukrainienne (surtout occidentale) estime légitime son accès à l’indépendance.
En fin de compte, les discours ukrainien et russe ont tous les deux une part de vérité, et une part d’exagération. Il ne fait aucun doute que le peuple Ukrainien soit distinct du peuple Russe lors du partage de la Pologne à la fin du XVIIIe siècle. Il ne fait aucun doute non plus que les politiques répressives de l’Empire puis de l’URSS ont été des traumatismes pour les Ukrainiens. Cependant, il semble que le discours de la Russie soit proche de la réalité concernant l’Ukraine orientale et méridionale. En 2001, 77% de la population criméenne déclare avoir le russe pour langue maternelle(13), tandis que 58% de la population se considère russe(14). 69% de la population de la région de Lugansk est russophone(15), 75% dans la région de Donetsk(16). Si le référendum de 2014 en Crimée a pu être critiqué au regard du droit international, si le doute est permis sur son résultat, il apparaît cependant que la Crimée (et le Donbass) sont les régions les moins ukrainiennes d’Ukraine, si l’on peut s’exprimer ainsi.
II – De l’indépendance de l’Ukraine à la guerre civile
Aujourd’hui séparées, la Russie et l’Ukraine sont en mauvais termes, et l’histoire de leurs relations s’écrit au sein de l’histoire des relations mondiales. Quelques temps après la chute du mur de Berlin, le 9 février 1990, le secrétaire d’État américain rencontre Mikhail Gorbatchev à Moscou pour discuter de la question allemande. Réalisant pleinement que l’absorption de l’Allemagne de l’Est par l’Allemagne de l’Ouest induirait une terrible fragilisation, voire la disparition du bloc de l’Est, Gorbatchev ne consent à l’unification qu’en échange d’une promesse américaine. Cette promesse américaine, régulièrement rappelée dans les analyses géopolitiques, était de renoncer à étendre l’OTAN plus à l’Est de l’Allemagne. N’apparaissant pas dans le traité final du 12.09.1990, cette promesse n’est évoquée que dans les archives des comptes-rendus des pourparlers entre Soviétiques et Occidentaux. Beaucoup d’encre a coulé pour savoir s’il est possible de considérer que les Etats-Unis ont bel et bien trahi une promesse aussi explicite(17). Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : l’influence occidentale s’est bel et bien propagée dans ce qui était le bloc de l’Est. En 1997(18), Varsovie, Prague et Budapest rejoignent l’alliance militaire atlantique. Cette fois, promesse est faite que l’OTAN ne déploierait jamais d’armes nucléaires dans les pays d’Europe de l’Est(19). En 2004, la Slovénie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie mais aussi les trois États baltes (frontaliers de la Russie) entrent dans l’OTAN. De part cette poussée vers l’Est de la part de l’OTAN, mais aussi de par le biais des révolutions de couleur(20), la Russie s’estime cernée et trahie par l’Occident et surtout les Etats-Unis.
Depuis 2014, Kiev et Moscou sont rivées l’une contre l’autre. La révolution « Maïdan », prend racine dans une simple manifestation à Kiev contre la décision de Ianoukovitch de ne pas signer d’accord avec l’UE en 2013. Rapidement, le mouvement s’enracine, créant des manifestations favorables dans l’Ouest, et défavorables dans l’Est du pays. Le mouvement devient insurrectionnel en 2014 lorsque l’opposition avec les forces de l’ordre se durcit, et que le secteur droit (правий сектор) prend l’avant-garde du mouvement contre Ianoukovitch. En février 2014, après une escalade de violences, Ianoukovitch se réfugie en Russie. Le parlement vote alors sa destitution et installe Oleksandr Tourtchinov à la tête du pays. Ianoukovitch, la Russie, mais aussi les républiques du Donbass dénoncent un coup d’État, tandis que Tourtchinov envoie un ultimatum aux séparatistes(21). La guerre qui s’ensuit nous amène à la situation dans laquelle nous sommes encore aujourd’hui. Plus au Sud, la Rada criméenne déclare à l’unanimité sa sécession vis-à-vis de l’Ukraine en s’inspirant du précédent du Kosovo, et en demandant un rattachement à la Russie. Les troupes russes envahissent la Crimée tandis qu’un référendum approuve son intégration dans la fédération de Russie en mars(22).
Sur la révolution de 2014, la guerre se joue aussi sur le plan de l’information. Dans un rapport récent de l’IRSEM, il est même démontré que la Chine a cherché depuis à prendre exemple sur le succès russe en la matière(23). En effet, la Russie a su défendre son point de vue en proposant un narratif de la révolution ukrainienne distinct de celui rapporté en Occident. Aujourd’hui, sa lecture des évènements s’est ancrée à domicile, mais aussi, dans une moindre mesure, chez une partie des Occidentaux. On peut notamment relever une certaine rhétorique selon laquelle la révolution ukrainienne serait un coup d’État nazi soutenu par l’Ouest. Certes, en 2014, 37 députés et quatre ministres(24) du nouveau gouvernement appartiennent au groupe Svoboda(25). Quelques mois plus tard, en mai 2014, le « bataillon Azov » est créé pour combattre les séparatistes dans le Donbass. De plus, selon certaines sources, Kiev bénéficierait aussi du soutien des services de renseignement américains et de mercenaires déployés sur le front du Donbass(26). Effectivement, les nostalgiques de Stepan Bandera et adeptes de la théorie selon laquelle les Russes ne seraient pas des slaves « purs » (secteur droit, Azov, Svoboda) ont bel et bien joué leur rôle dans la révolution Maïdan. Le fait de pointer ces groupes et surtout de les accuser de nazisme a certainement eu un impact sur une partie de l’audience, mais il ne fait aucun doute que les médias russes ont exagéré leur importance. Ce ne sont pas eux qui ont pris le pouvoir, et ils ne contribuent pas à définir la ligne de Kiev aujourd’hui.
III – La guerre dans le Donbass et l’avenir des relations russo-ukrainiennes
Depuis les révolutions de couleur et la dernière vague d’expansion de l’OTAN en Europe de l’Est, la Russie décide de rendre les coups, ou plutôt de lancer des ultimatums. V. Poutine déclare considérer la Biélorussie, l’Ukraine et la Géorgie comme étant une « ligne rouge », qui en cas de franchissement, constituerait un casus belli(27). Lors du sommet de Bucarest de 2008 entre la Russie et l’OTAN, V. Poutine déclare qu’en cas de tentative d’intégrer la Géorgie à l’OTAN, Moscou reconnaîtrait les républiques sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud(28). Lors de ce même sommet, V. Poutine s’adresse à Georges Bush et l’avertit qu’en cas d’entrée de l’Ukraine dans l’alliance atlantique, la Russie déclencherait la sécession de la Crimée et de l’Ukraine orientale(29). Quelques mois après le sommet de Bucarest, la Russie reconnaît effectivement les républiques d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, et intervient militairement pour empêcher leur conquête de la part de la Géorgie. Quant à l’Ukraine, Moscou semble là aussi avoir mis ses menaces à exécution depuis 2014 en annexant la Crimée, et il est aujourd’hui de notoriété commune que les séparatistes du Donbass ont perçu dès 2014 des aides matérielles de la part de la Russie(30).
Aujourd’hui pour V. Poutine, l’opposition Biélorusse menée par S. Tikhanovskaïa depuis la Lituanie, la présence de troupes de l’OTAN à ses frontières en Estonie, l’augmentation des activités de l’OTAN en mer noire, le renforcement de la présence américaine en Ukraine et le développement des drones dans l’armée ukrainienne sont une augmentation délibérée de la pression sur sa ligne rouge. Nul doute que l’exercice Zapad 2021, la crise migratoire entre la Pologne et la Biélorussie, mais aussi l’amassement récent de troupes russes à l’Ouest du pays font partie d’une stratégie hybride visant à faire pression sur les Occidentaux. Pour les Etats-Unis et de nombreux observateurs, une invasion russe est prévue en Ukraine, probablement au coeur de l’hiver 2021-2022(31). Dans le Donbass, les rapports quotidiens de la mission spéciale de l’OSCE laissent apercevoir une tendance haussière très nette des violations du cessez-le-feu de la part des deux parties au cours de l’année 2021, a fortiori ces derniers mois(32).
Quoi qu’il en soit, l’escalade de tensions en Europe de l’Est, mais aussi et surtout la fermeté de la Russie et son stationnement de troupes dans ses provinces occidentales ont poussé à organiser une rencontre entre V. Poutine et J. Biden le 07.12.2021. De toute évidence, il semble que l’OTAN soit sur le point d’effectuer une nouvelle expansion vers l’Est, mais cette fois, la Russie n’a pas d’autre choix que de ne rien laisser passer. De son côté, J. Biden a déclaré n’avoir aucune intention de prendre en compte la ligne rouge de V. Poutine(33), et envisager de fortes sanctions conjointement avec l’Europe en cas d’escalade militaire russe dans le Donbass. Une des théories qui revient le plus souvent à ce sujet est l’exclusion de la Russie du système SWIFT. Quant à l’hypothèse d’une véritable invasion ouverte de l’Ukraine, Joe Biden a déclaré le 07.12.2021 que les Etats-Unis se tiendraient prêts à renforcer leur présence militaire en Europe de l’Est et soutenir l’armée ukrainienne.
Avoir un gros bâton permet de parler calmement(34) disait autrefois Theodore Roosevelt. Il semble que V. Poutine ait réussi son coup en haussant le ton ces derniers mois. Avec la pression militaire qu’il fait peser sur l’Ukraine, impossible désormais de l’ignorer, ou d’ignorer sa fameuse ligne rouge. D’après les comptes-rendus de la presse, il semble que sa discussion avec Joe Biden ait été des plus cordiales. Accusé de vouloir intervenir militairement en Ukraine (ce qu’il dément), le président russe impose la prise en compte de ses conditions, non en ajoutant de la pression à la pression, mais en proposant une désescalade, le sourire aux lèvres(35). L’apaisement de l’Europe de l’Est, le retour à la normale, contre des garanties juridiques(36) excluant à la fois toute extension de l’OTAN vers l’Est, mais excluant aussi le déploiement d’armement avancés. Pas d’accord ni de réponse définitive sur le dossier ukrainien, mais déjà une petite victoire pour Moscou. Quant à Joe Biden, il s’est directement entretenu avec E. Macron, B. Johnson et A. Merkel après sa discussion avec V. Poutine. Une fois encore, il semble que l’Ukraine elle-même ne soit pas conviée aux négociations, du moins pour le moment. Loin d’être résolue, la crise en Europe orientale devrait continuer de s’arbitrer dans les prochaines semaines et les prochains mois.
Notes :
(1) La Russie et l’Ukraine ne sont pas en guerre ouverte mais Moscou prend part à une stratégie de guerre hybride dans le Donbass.
(2) Une petite partie de la Galicie est rattaché à l’Empire Austro-hongrois jusqu’à la Première Guerre mondiale. Après la guerre, à partir de 1921, l’Ukraine occidentale est rattachée à la Pologne jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
(3) Né à Kiev, s’exprimant en Polonais, François Duchiński fait partie des proto nationalistes ukrainiens, nostalgiques de la période polonaise et fermement opposés au panslavisme russe. Ethnologue, Duchiński élabore une théorie selon laquelle les Russes ne seraient pas de vrais Slaves, mais plutôt une population mélangée d’origine « touranienne », c’est à dire finno-ougrienne, altaïque et mongole. Assimilés à la culture slave, les Russes n’en seraient pas moins des « Asiatiques », faisant de leur hégémonie sur le monde slave une usurpation scandaleuse.
LARUELLE (M.), « La question du “touranisme” des Russes », Cahiers du monde russe, 2004, vol.45, pp.241-266.
(4) Né en Ukraine occidentale sous la période austro-hongroise, Stepan Bandera est l’un des deux leaders de l’organisation des nationalistes ukrainiens pendant les années 1930 et 1940. Luttant pour l’indépendance de l’Ukraine contre Moscou et Varsovie, Bandera en vient à collaborer avec l’occupant nazi. Une partie des nationalistes ukrainiens suit alors le plus modéré André Melnik.
(5) Le secteur droit (правий сектор) et Svoboda (Свобода) sont des partis politiques nationalistes ukrainiens actuels ayant mené des actions lors de la révolution ukrainienne de 2014.
(6) Une principauté de Galicie-Volhynie a existé entre la période de la Horde d’Or et celle du règne polonais. Toutefois, considérer que cette (éphémère) principauté soit déjà réellement « ukrainienne » serait un anachronisme, une erreur téléologique. Un État cosaque non moins éphémère s’est soulevé au XVIIe siècle contre l’occupation polonaise. Enfin, une république ukrainienne autoproclamée s’étendant de Lviv à Kiev émerge en 1919, mais ne tient que quelques mois avant d’essuyer les invasions polonaises et soviétiques.
GOUJON (A.), L’Ukraine, de l’indépendance à la guerre, Le Cavalier Bleu, Paris, 2021, pp.49-55.
(7) Cette région est appelée ainsi car elle fut conquise par les Russes aux Ottomans et à leurs protectorats (Tatars de Crimée notamment). La nouvelle Russie est donc à distinguer de la « petite Russie », partie de la Rus ayant une histoire commune avec la Pologne.
(8) Renommée Dniepropetrovsk pendant la période soviétique, cette ville est appelée Dnipr aujourd’hui en ukrainien.
(9) « русские и украинцы – один народ, единое целое ».
POUTINE (V.), Об историческом единстве русских и украинцев, 12.07.2021, <http://kremlin.ru/events/president/news/66181>.
(10) En réalité, l’Est de l’actuelle Ukraine n’a jamais fait partie de la Rzeczpospolita, tandis que le centre, dont Kiev, faisaient déjà partie de la Russie à la fin du XVIIe. Seul le tiers ouest de l’Ukraine a réellement vécu sous le joug polonais pendant trois siècles.
(11) Galicie et Volhynie.
(12) L’ukrainien étant encore une langue orale, les Ruthènes utilisent surtout le polonais à l’écrit.
(13) State Statistics Committee of Ukraine, Всеукраïнський перепис населения 2001, <http://2001.ukrcensus.gov.ua/eng/results/general/language/Crimea/>.
(14) Ibid, <http://2001.ukrcensus.gov.ua/eng/results/general/nationality/Crimea/>.
(15) Ibid, <http://2001.ukrcensus.gov.ua/eng/results/general/language/Luhansk/>.
(16) Ibid, <http://2001.ukrcensus.gov.ua/eng/results/general/language/Donetsk/>.
(17) LIEBICH (A.), « Les promesses faites à Gorbatchev : l’avenir des alliances au crépuscule de la guerre froide », Relations internationales, 2011, vol.147, n°3, pp.85-96.
(18) L’entrée de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque dans l’OTAN est cependant ratifiée en 1999.
(19) « Les États membres de l’OTAN réitèrent qu’ils n’ont aucune intention, aucun projet et aucune raison de déployer des armes nucléaires sur le territoire des nouveaux membres […] et n’en prévoient nullement le besoin pour l’avenir. Cela inclut le fait que l’OTAN a décidé qu’elle n’a aucune intention, aucun projet et aucune raison d’établir des dépôts d’armes nucléaires sur le territoire de ces [nouveaux] membres, que ce soit par la construction de nouvelles installations de stockage nucléaires ou par l’adaptation d’anciennes installations de stockage nucléaires. ».
Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre l’OTAN et la Fédération de Russie, 27.05.1997, Paris, partie IV – Questions politico-militaires.
(20) En Géorgie, la révolution des roses émane d’une contestation de la victoire électorale du pro-russe Chevardnadze, et d’un soulèvement populaire en faveur du pro-américain Saakachvili. Même chose en Ukraine pendant la révolution orange : le peuple se soulève contre la victoire électorale du pro-russe Ianoukovitch en faveur du pro-occidental Iouchtchenko. Dans les deux cas, les Occidentaux soutiennent les insurrections et dénoncent des fraudes électorales.
(21) Contrariés par l’abrogation d’une loi sur le statut des langues parlées en Ukraine (non ratifiée en fin de compte), effrayés par l’incendie criminel anti-russe d’Odessa, et ne s’étant pas reconnus dans le mouvement insurrectionnel de Maïdan, une partie des populations du Donbass font sécession.
(22) La légitimité de ce processus est globalement rejetée par la communauté internationale, car la Rada criméenne n’avait pas les droits constitutionnels pour déclarer son indépendance et réclamer un rattachement à la Russie. Quant au référendum, il n’a pas été mené en présence d’observateurs internationaux.
(23) CHARON (P.), VILMER (J.-B.), Les opérations d’influence chinoises – un moment machiavélien, Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire, 2021, <https://www.irsem.fr/rapport.html>.
(24) GOUJON (A.), L’Ukraine, de l’indépendance à la guerre, Le Cavalier Bleu, Paris, 2021, pp.101-107.
(25) Fondé sous le nom de Parti social-national d’Ukraine en 1991, Svoboda (liberté) change de nom en 2004 et abandonne le symbole du Wolfsangel. Il continue cependant d’appeler à la lutte contre les « Moskals » (terme employé par Duchinski et autres théoriciens de l’ascendance touranienne du peuple russe) et les « youpins ».
CHAUVIER (J.-M.), « Comment les nationalistes ukrainiens réécrivent l’histoire », Le Monde diplomatique, août 2007, pp.4-5.
(26) « Des mercenaires en Ukraine », Le Monde, 11.05.2014.
« La CIA et le FBI conseillent-ils Kiev ? », Le Monde, 05.05.2014.
(27) ROHAN (J.), DURRIEU (J.) et alii, Rapport d’information, Sénat, n°416, 2007-2008, p.40.
(28) « НАТО и отношения альянса с Россией », Коммерсантъ, 07.04.2008, <https://www.kommersant.ru/doc/877224>.
(29) Ibid.
(30) GOUJON (A.), L’Ukraine, de l’indépendance à la guerre, Le Cavalier Bleu, Paris, 2021, pp.75-82.
(31) NARDELLI (A.), JACOBS (J.) WADHAMS (N.), « US warns Europe that Russia may be planning Ukraine invasion », Bloomberg, 11.11.2021.
(32) Rapports quotidiens de l’OSCE : <https://www.osce.org/ukraine-smm/reports>.
(33) « Байден заявил, что не признает “красных линии” Путина по Украине », РИА Новости, 04.12.2021.
(34) « Speak softly and carry a big stick » pour formule exacte.
(35) « Что решили Путин и Байден, угроза санкций. Главное за ночь », РБК, 08.12.2021.
(36) SMOLAR (P.), VITKINE (B.), « Joe Biden et Vladimir Poutine donnent une chance à la diplomatie sur le dossier ukrainien », Le Monde, 08.12.2021.