Les minorités ethniques en Iran, un enjeu de sécurité publique

Les minorités ethniques en Iran, un enjeu de sécurité publique

Article écrit sous la plume de Thomas DONZELLI (LinkedIn), étudiant en Master 1 Géostratégie, défense et sécurité internationale à Sciences Po Aix.

En Iran s’affronte actuellement deux logiques antagoniques, que sont l’accentuation des revendications des minorités ethniques et le nationalisme iranien. Ce conflit est pour le moment négligé par la République islamique mais présente un problème de sécurité publique d’envergure pour le régime.

1. L’Iran, une nation plurielle marquée par des inégalités interethniques

Tout d’abord, il faut rappeler que l’Iran contemporain est l’héritier d’un vieil empire multi-ethnique qui domina le Moyen-Orient. En 1979, la Révolution islamique marqua d’une certaine manière l’achèvement d’un processus d’unification nationale initiée sous la dynastie Pahlavi (1925-1979).
Depuis, la politique de l’Etat iranien a été de confiner la diversité ethnique dans son aspect le plus conventionnel, et le plus dépolitisé possible. Cependant, bien que la question des minorités ethniques est mise de côté par les autorités, cette tendance est chamboulée par de nouvelles dynamiques politiques.
L’Iran est un donc état multi-ethnique de 80 millions d’habitants, dans lequel les Perses sont l’ethnie la plus nombreuses (61% de la population). Les minorités sont constituées d’Azéris (16%), de Kurdes (10%), de Lors (6%), de Turkmènes, d’Arabes, de Baloutches (2% chacun) et d’autres.
La première opposition entre le groupe majoritaire perse et les autres est d’ordre géographique : les Perses occupent les zones central tandis que les autres groupes ethniques vivent dans les périphéries. L’Iran occidental, les provinces bordant la mer Caspienne et le sud-est sont ainsi largement peuplé de non-perses.
La seconde est économique : du fait que les provinces les moins développées sont situées en périphéries, les minorités sont concentrées dans les régions les moins avantagées.
La troisième enfin est une opposition religieuse entre la majorité chiite et les minorités sunnites. Ils ne sont pas officiellement recensés par l’Etat mais on peut plus ou moins les identifier comme étant les Turkmènes, les Baloutches, les Arabes et la plupart des Kurdes (10% de la population).

2. Nationalisme iranien et marginalisation des minorités ethniques

Sous la République islamique, leur marginalisation est devenue de plus en plus institutionnalisée. Alors que les inégalités étaient auparavant fondées sur le sous-développement de leurs provinces, elles sont aujourd’hui établies sur des critères religieux.
Malgré la reconnaissance du fait ethnique dans les élections présidentielles de 2005 et 2009, il n’a jamais été l’objet d’aucune politique publique coordonnée que ce soit. La décentralisation est toujours censée être mise en application et les autorités locales ont encore des pouvoirs très limités, dans le contexte d’un Etat hautement centralisé.
Il faut ajouter le poids conséquent du nationalisme iranien, qui promeut la culture perse et la tradition impériale iranienne à travers les discours publics, les institutions étatiques et le milieu intellectuel proche du régime.
C’est l’ayatollah Khomeini qui conceptualisa le nationalisme iranien, une synthèse faite d’islamisme et de nationalisme comme élément fondateur de l’Iran, and cette partie de son héritage s’applique toujours aujourd’hui. Ce nationalisme participe à l’exclusion des marqueurs ethniques de la société iranienne et tend à justifier une politique répressive envers les populations minoritaires.
Cette montée du nationalisme iranien trouva une caisse de résonance dans les mouvements de contestation liée à l’élection présidentielle de 2009 (appelée aussi « révolution Twitter »), dans la mesure où leurs leaders eurent du mal à se rapprocher des minorités ethniques, soupçonnées de velléités séparatistes.
Aujourd’hui, l’Iran craint que sa diversité culturelle représente une menace potentielle pour sa sécurité nationale. Les minorités vivent dans des zones frontalières, Téhéran est donc inquiète à propos d’interférences étrangères possibles. Cela est assez vrai en ce qui concerne les minorités sunnites, qui sont estampillées alliés objectifs de l’Arabie Saoudite.

3. De la revendication à la violence communautaire : la diversité ethnique comme enjeu de sécurité nationale

Une approche sécuritaire à la question ethnique a jusqu’à présent prévalue : elle consiste à labelliser comme « séparatistes » les revendications des minorités afin de les traiter comme menaces à la sécurité nationale et réprimer les activistes (principalement au Baloutchistan, Kurdistan et Khouzistan). Si elle a entraîné un reflux des mouvements ethniques, la violence dans les régions frontalières est toujours présente.
On observe aussi des manifestations dans les régions périphériques du pays, avec un pic entre 2003 et 2006. Des émeutes contre le gouvernement éclatèrent au Khouzistan, où vit la plus grande communauté arabe d’Iran. Le 25 septembre 2017, avant que soient annoncés les résultats du référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien, des milliers de Kurdes iraniens se réunirent pour célébrer l’évènement et défier le gouvernement.
L’ethnicité est également reprise comme argument politique par des groupes armés qui utilisent la violence. Dans les régions kurdes, le Parti pour une vie libre au Kurdistan mène une guérilla contre les forces de sécurité iraniennes, depuis ses bases arrière du Kurdistan irakien. Au Baloutchistan, en 2005, des membres du groupe armé Joundallah attaquèrent le convoi de l’ex-président Mahmoud Ahmadinejad, en visite officielle. En avril 2017, l’organisation sunnite Jaish al-Adl revendiqua l’assassinat de neuf gardes-frontières iraniens dans la province du Sistan et Baloutchistan, dans le sud-est du pays.

4. Une évolution dans la gestion iranienne du fait ethnique ?

En fait, les autorités iraniennes sont accusées de mener des politiques discriminatoires contre les populations non-perses et jugées responsables du sous-développement des régions périphériques. Le régime fait de plus en plus l’objet de critiques venant des activistes ethniques, et on attend de lui d’améliorer la situation des minorités ethniques. Plusieurs critiques de l’Etat iranien, émises par des membres de groupes ethniques actifs dans la diaspora iranienne, prennent même la forme d’appel au fédéralisme.
Par conséquence, les minorités ethniques et l’Iran périphérique n’ont jamais vraiment été pris en compte jusqu’à encore récemment. Cependant, en septembre 2017, le président Hassan Rohani a fait une déclaration en faveur de la présence des minorités ethniques, de la jeunesse et des femmes dans des postes à hautes responsabilités.
La réponse à ce verrouillage politique pourrait s’incarner dans la mise en œuvre d’une politique publique prenant mieux en compte la diversité culturelle du pays et ses inégalités territoriales. Ce serait alors au Conseil suprême de la sécurité nationale, qui est en charge de la question ethnique, de faire le premier pas mais c’est n’est pour le moment la priorité d’aucun Président, Guide suprême ou apparatchik du régime que ce soit.

 

Sources
Radio Farda (2017), Rouhani Defends Minorities’ Rights. Radio Farda.com. https://en.radiofarda.com/a/rouhani-Iran-minorities-rights/28707693.html
Riaux, Gilles (2013), Iran. La question ethnique : un enjeu négligé. Diploweb.com. https://www.diploweb.com/Iran-La-question-ethnique-un-enjeu.htm
Saleh, Alam (2017), Iran’s cynical pandering to its ethnic minorities will do it no good. The Conversation.com. https://theconversation.com/iranscynical-pandering-to-its-ethnic-minorities-will-do-it-no-good-55089
Sellar, Elodie (2017), Iran’s Greatest Challenge is Homegrown. Fair Observer.com. https://www.fairobserver.com/region/middle_east_north_africa/kurdistan-independence-iraq-iranmiddle-east-politics-news-16200/

 

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