Analyse du programme « Diplomatie et Défense » d’Eric Zemmour

Analyse du programme « Diplomatie et Défense » d’Eric Zemmour

Auteurs : Maël Kebabsa et Jean Cannesant

L’association AthénAix Défense Sécurité Géostratégie n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises ici : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

  1. La volonté de « reconquérir » l’autonomie stratégique de la France

1.1. Une nouvelle loi de programmation militaire avec l’objectif de considérablement renforcer les moyens de la défense française

Le diagnostic du candidat Zemmour concernant l’état des forces armées est sévère. Il compare l’armée française actuelle à un « corps expéditionnaire » en raison d’un manque d’équipements et d’une incapacité à faire face à un conflit de haute intensité. Pour répondre à ce constat, sa mesure phare est l’élaboration d’une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) sur la base d’une revue stratégique renouvelée. Cette nouvelle LPM se veut plus ambitieuse que celle de l’actuel gouvernement (LPM 2019-2025) qui prévoit une augmentation progressive du budget des armées de 35,9 Md€ en 2019 à 50 Md€ afin de rompre avec des années de rigueur budgétaire et de respecter les engagements français vis-à-vis de l’OTAN (cf. depuis 2006, les pays membres se sont accordés, de manière non-contraignante, pour consacrer 2 % de leur PIB à la défense nationale.). Toutefois, Éric Zemmour souhaite aller plus loin avec une LPM 2023-2030 prévoyant 3,5 milliards de hausses budgétaires annuelles afin d’atteindre 70 Md€. Ces nouveaux crédits seraient concentrés sur plusieurs priorités :

    • Le renforcement de la capacité de projection (cf. les moyens qui permettent d’acheminer des effectifs rapidement vers un lieu géographique éloigné pour exécuter une mission à la durée variable) avec la construction d’un second porte-avion d’ici 2040.
    • Le développement des moyens matériels (cf. passer de 215 avions de chasse à 300, 8 sous-marins nucléaires d’attaques contre 6 actuellement et doubler le nombre de frégates) et humains (passer la force opérationnelle de 70 000 à 100 000 hommes).
    • Une hausse de l’investissement public ciblée sur la filière de l’armement.
    • Une augmentation, dès 2023, de 20 % de la solde des militaires et réservistes.

1.2. Une stratégie militaire et industrielle revisitée sous un prisme souverainiste

Eric Zemmour souhaite réévaluer certains accords de défense passés par la France avec des alliés historiques comme le Royaume-Uni (cf. accords de Lancaster House de 2010) ou l’Allemagne (cf. projets SCAF et MGCS). Concernant la coopération franco-allemande, cette volonté semble légitime, du fait des désaccords importants entre les deux parties (cf. rôle de l’industrie d’armement dans l’autonomie stratégique, leadership du projet, politique d’exportation). Toutefois, le changement de doctrine de défense allemande annoncée par le chancelier Scholz le 27 février devant le Bundestag pourrait redonner un souffle à ces projets d’armements communs. De surcroît, le président de Reconquête s’est toujours déclaré opposé aux initiatives de construction d’une défense européenne, ce qui est cohérent avec sa russophilie et son euroscepticisme.

Le candidat Zemmour propose également de rationaliser les OPEX en adoptant un modèle « coup de poing », pour rompre avec l’enlisement qui caractérise l’opération Barkhane, dont il approuve le redéploiement. Désormais, la lutte contre le terrorisme au Sahel passerait par un renforcement des bases françaises en Afrique avec des effectifs accrus, dans le cadre d’un nouveau partenariat avec les pays de la région (cf. Eric Zemmour semble vouloir lier l’enjeu terroriste à la gestion des flux migratoires.).

Enfin, Eric Zemmour est en faveur d’une relance de l’industrie de défense avec un rôle accru de l’Etat qui serait symbolisée par le nouveau nom du ministère des Armées « ministère des Armées et de l’Industrie de Défense ». En cohérence avec cette vision dirigiste, l’Agence des participations de l’Etat serait transformée en fonds souverain pour développer des coopérations entre les grandes entreprises et pour protéger les TPE/PME/ETI de rachats par des capitaux étrangers.

1.3. Un programme coûteux qui soulève des doutes sur la soutenabilité budgétaire des propositions d’Eric Zemmour

Les enjeux de défense paraissent être une priorité pour le candidat de Reconquête et on peut deviner l’influence de l’ancien major général de l’Armée de Terre, Bertrand de la Chesnais, qui occupe la fonction de directeur de campagne auprès de l’ancien journaliste du Figaro. Toutefois, la forte hausse du budget de la défense prévue par le programme d’Eric Zemmour s’additionne à de nombreuses autres dépenses (cf. baisse des impôts de production, de la CSG et des prélèvements sur les successions, augmentation du budget de la justice, hausse des crédits alloués à la politique familiale). Or, la situation des comptes publics est dégradée après deux années de crise sanitaire comme l’illustre la Cour des comptes dans son dernier rapport et la politique monétaire très accommodante de la BCE va progressivement s’estomper au cours du prochain quinquennat. Par conséquent, on peut fortement douter de l’application totale du programme d’Eric Zemmour qui n’a pas proposé, pour l’instant, des économies crédibles sur les dépenses publiques, excepté concernant les régimes de retraite.

 

  1. Eric Zemmour, souhaite développer une diplomatie d’indépendance afin de « rétablir » la puissance française 

2.1. L’émancipation des structures de coopération (OTAN et UE)

Le jugement d’Eric Zemmour sur l’OTAN est cinglant puisqu’il estime qu’elle promeut uniquement les intérêts industriels et stratégiques des Etats-Unis en asservissant les pays européens. Sa réponse : la sortie du commandement intégré de l’alliance, c’est-à-dire la structure qui fixe les stratégies et applique les opérations sur le terrain. Concrètement, cela signifie que la France resterait membre de l’OTAN, mais qu’elle quitterait ses structures de commandement, où sont présents un certain nombre de personnels Français. Il s’agit par cet acte d’imiter le Général De Gaulle qui avait également quitté le commandement de l’Alliance en 1966, mais dans un contexte différent de guerre froide qui impliquait le risque d’une bataille nucléaire sur le sol européen. Aujourd’hui, le candidat justifie la mesure par la recherche d’une indépendance stratégique, qui serait bafouée selon lui par l’article 5 du traité, qui prévoit « qu’une attaque armée contre l’une des parties sera considérée comme une attaque menée contre toutes les parties ». Il souhaite tout de même que la France reste dans l’OTAN afin « d’empêcher l’Ukraine d’y rentrer et de modérer son action face à la Chine ».

Seulement, contrairement à ce qu’il affirme, rien ne prévoit une riposte automatique. Comme le rappelle le chercheur Bruno Tertrais, il y a une double sécurité. Il faut que l’article 5 soit déclaré, mais également que chaque État décide d’envoyer ses troupes au combat. L’article 5 n’a été engagé qu’une seule fois, en 2001, à la suite des attentats du 11 septembre. À cette époque, la France n’avait pas encore réintégré la structure de commandement, elle était intervenue sous commandement de l’OTAN. Ainsi, Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires Etrangères et auteur d’un rapport rendu en 2012 juge qu’une sortie du commandement intégré « n’est pas une option, ne serait comprise par personne, et ruinerait toute possibilité d’action ou d’influence ». En effet, la France qui est l’un des principaux contributeurs de l’alliance en influence et en renseignements. En somme, la portée de cette mesure reste extrêmement limitée.

Par ailleurs, Eric Zemmour affirme rejeter le projet « d’Europe de la défense ». Selon lui, il n’est pas réaliste et relève plutôt de l’OTAN et des États-Unis. Avant que les alliés européens n’annoncent leurs retraits, il jugeait que la Task Force Takuba, la force opérationnelle européenne sous commandement français destinée à assister l’armée malienne dans son action antiterroriste, n’était qu’une présence politique « pour faire plaisir à Macron ». Dès lors le candidat dit préférer privilégier les relations bilatérales avec les alliés européens. C’est dans cet esprit qu’il estimait déjà en 2016 que « la France doit être à elle seule l’Europe de la défense ».

Il est vrai que le projet européen de défense commune, déjà présent à l’origine de la construction européenne, ne s’est jamais réellement concrétisé, et semble encore loin. Avec la fin de la Guerre Froide, le retrait américain en Europe pousse ses membres à se doter de deux groupements tactiques pouvant être mobilisés en quelques jours sur des théâtres d’opérations. Cependant, l’unanimité indispensable à leur déploiement n’a jamais été sollicitée. Depuis quelques avancées ont été réalisées, avec le lancement de la coopération structurée permanente en 2017, et la création du Fonds européen de défense en 2020, doté de 8 milliards d’euros. Certes, l’Europe n’est pas une interlocutrice crédible sur le plan militaire, et c’est bien la France qui porte quasiment à elle seule la capacité d’intervention militaire. Mais le contexte de la guerre d’Ukraine, semble changer la donne au sein de l’UE, avec la possibilité d’exclure du calcul des déficits les dépenses militaires, du fait de la hausse des crédits liés à la défense parmi les Etats membres.

2.2. Repenser les relations franco-africaines sous le prisme du contrôle de l’immigration

Le leader de Reconquête est essentiellement célèbre pour sa ligne anti-immigration. Logiquement, il souhaite conditionner l’aide au développement des pays d’Afrique et la délivrance de visas à leur coopération dans la maîtrise des flux migratoires en direction de l’Europe. On peut émettre quelques doutes sur les effets d’une suspension d’aide au développement des États africains à réduire les flux migratoires quand on sait que la précarité des populations sahéliennes est un terreau fertile au développement du terrorisme dans la région.

En ce qui concerne l’engagement militaire de la France au Sahel, Monsieur Zemmour était déjà favorable à un retrait des troupes du Mali, et un repli vers nos bases militaires au Tchad et en Côte d’Ivoire.

Rappelons enfin que le candidat à l’élection présidentielle est entouré d’une garde rapprochée très familière des palais africains. Son avocat Olivier Pardo a été choisi pour défendre le président équato-guinéen, ou encore la présidence congolaise dans plusieurs dossiers. Loïk Le-Floch Prigent, qui le conseille sur les questions d’économie, est très actif sur le continent et intervient comme consultant dans plusieurs dossiers économiques au Congo, au Mali, en RDC et au Bénin. Le directeur des événements de la campagne Olivier Ubeda a lui aussi tenté l’aventure avec des sociétés de consulting et de communication. Le directeur de campagne, le Général Bertrand de la Chesnais connaît bien, lui aussi, l’Afrique pour y avoir été déployé plusieurs fois. Si Eric Zemmour a su s’entourer de hauts gradés, il est cependant à la peine chez les diplomates.

2.3. La recherche d’alliances alternatives

Eric Zemmour propose dans son programme que la sécurité géostratégique de la France soit assurée par l’instauration d’un dialogue de fond avec les puissances étrangères, en premier lieu la Chine et la Russie. La situation actuelle de guerre en Ukraine et l’isolement de la Russie sur la scène internationale rendent le traitement de cette question délicate, d’autant plus que le candidat de la droite identitaire est connu pour sa russophilie : « Poutine est le dernier résistant à l’ouragan du politiquement correct », « je rêverais d’un Poutine Français », ou « je suis pour l’alliance russe, c’est l’allié qui serait le plus fiable, plus que les Américains, les Allemands et les Anglais ». Par ailleurs, il estime que le président Poutine est un « grand chef d’État, qui doit être respecté », que ses demandes vis-à-vis de l’Ukraine et de l’OTAN sont légitimes, tout comme l’annexion de la Crimée en 2014 du fait de son lien historique à la Russie, ou encore que les Européens et l’Alliance atlantique sont responsables de la position agressive de Moscou à l’Ouest.

C’est dans cet esprit que le JDD a révélé le 6 mars dernier que le polémiste a été repéré dès 2015 par Moscou comme un « relais d’influence en France ». Un an, après avoir annexé la Crimée, Moscou, en quête de relais d’influence en Europe s’était tourné vers le journaliste. Il avait été invité à déjeuner par l’oligarque Vladimir Iakounine, un proche de Poutine, qui s’était lui-même « félicité d’avoir trouvé en lui une personnalité influente dont la Russie avait tant besoin à ce moment-là ». Les deux hommes se seraient revus à plusieurs reprises, et Eric Zemmour aurait même été invité à rencontrer le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov.

Ainsi, Monsieur Zemmour propose dans son programme un grand traité européen de pacification, destiné à faire reconnaître les frontières de l’Ukraine par la Russie, en échange de l’engagement de l’OTAN à ne pas accueillir l’Ukraine. Il souhaite également « être l’ami » de la Russie en instaurant un dialogue de fond, destiné à assurer la sécurité géostratégique de la France, sans avoir à compter sur ses alliés traditionnels (Union européenne et États-Unis). Enfin, il a répété à plusieurs reprises être favorable à la levée des sanctions internationales que subie la Russie (avant l’attaque de l’Ukraine).

Toutefois, E. Zemmour semble revoir ses positions vis-à-vis de la Russie depuis son entrée en guerre contre l’Ukraine. Ainsi, il affirmait récemment que Moscou était le seul responsable de la situation. Critiqué pour son refus d’accueillir les réfugiés ukrainiens, il indique maintenant être favorable à un accueil temporaire de ceux ayant des attaches avec la France.

On peut s’interroger sur la mise en œuvre d’une telle politique à l’égard de Moscou, qui mène de nombreuses campagnes de déstabilisation contre l’Europe, aussi bien dans le domaine du cyber, de l’espace, de la politique, qu’au Sahel avec le déploiement de troupes Wagner. D’autant que la guerre menée en Ukraine l’isole de plus en plus sur la scène internationale. Le président Macron a lui-même tenté tout au long de son quinquennat de se rapprocher de Vladimir Poutine en se posant comme un interlocuteur fiable, à l’image de l’accueil du président russe au château de Versailles en 2017. Mais il n’a jamais paru sensible aux gestes du président français, principalement en raison de l’opposition de ce dernier au projet de gazoduc Nord Stream 2. Quoi qu’il en soit, Eric Zemmour paye aujourd’hui son ambiguïté à l’égard de la Russie dans les sondages.


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