Analyse du Programme « Diplomatie et Défense » de Jean-Luc Mélenchon

Auteurs : Maël Kebabsa et Léo Borgia
L’association AthénAix Défense Sécurité Géostratégie n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises ici : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
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Une rupture profonde et inédite avec la tradition diplomatique française depuis 1945
1.1. La dénonciation du positionnement de la France dans les relations internationales
Jean-Luc Mélenchon porte un regard extrêmement critique sur la diplomatie française depuis 2007. Il estime que les trois derniers présidents de la République se sont alignés sur les positions américaines (cf. Libye, Syrie, Ukraine et Chine), en suivant une logique occidentaliste. Or, le leader insoumis estime que les Etats-Unis d’Amérique représentent la « principale menace pour la paix » pour plusieurs raisons (cf. extraterritorialité du droit américain, suprématie du dollar dans les échanges internationaux, réseau militaire mondial et hostilité vis-à-vis de la Chine…). Le candidat Mélenchon en tire une conclusion limpide en affirmant vouloir sortir de l’OTAN. Cependant, cette vision exagère grandement les impératifs liés à l’Alliance atlantique. L’article 5 du traité de l’Atlantique Nord n’oblige pas la France à s’engager militairement dans un conflit impliquant un autre pays membre de l’OTAN. Comme le résume le chercheur Bruno Tetrais (Fondation pour la Recherche Stratégique) « L’article 5 crée une attente de solidarité, mais pas une obligation de combat ». De surcroît, une telle initiative dégraderait très probablement, les relations franco-américaines, mais aussi nos liens avec nos partenaires européens, qui pour la plupart restent attachés à l’OTAN.
Les modestes projets de défense européenne sont également dans le viseur du candidat Mélenchon, au motif qu’ils remettent en cause la souveraineté française. Sous sa présidence, la France stopperait les coopérations européennes en matière d’armement (cf. projet SCAF et char MGCS) et se retirerait de l’Eurocorps (cf. structure européenne de commandement opérationnel à laquelle participent 5 nations-cadre et 6 nations associées). Encore une fois, de telles initiatives provoqueraient des tensions entre la France et ses partenaires de l’Union, et nous n’évoquons pas les autres contentieux prévus par le programme de LFI (cf. refus des traités européens et bras de fer avec Bruxelles et Berlin). Toutefois, la volonté de préserver le modèle militaire français qui est remis en cause par certains arrêts de la CJUE est à saluer.
Contrairement aux affirmations du programme mélenchoniste “Quitter l’OTAN ne veut pas dire que nous arrêterons d’avoir de bonnes relations avec ses membres, dont les États-Unis d’Amérique. (…). En sortant du carcan atlantiste, la France ne se retrouvera pas isolée, mais non-alignée”, si une telle politique étrangère était appliquée elle décrédibiliserait la position française en provoquant une rupture majeure avec ses alliés, mais aussi avec son histoire. La tradition gaullo-mitterrandienne n’a jamais promu “la rupture avec le camp occidentaliste” comme l’ont montré de nombreuses crises (cf. Cuba, Euromissiles).
1.2. La volonté de construire une diplomatie altermondialiste afin de renouer avec « l’indépendance nationale »
Jean-Luc Mélenchon souhaite redéployer le Quai d’Orsay autour de plusieurs grands principes qui formeraient les piliers d’une France non-alignée :
- Une coopération internationale renforcée avec une remise en cause des formats de type G7 ou G 20 au profit de l’ONU (conditionner l’interventionnisme de nos armées à un mandat onusien et accroître le rôle du comité d’état-major de l’organisation ainsi que celui des casques bleus).
- La dénonciation de la « Françafrique » et de tout « pré carré » (cf. révision des accords de défense entre la France et les pays africains ; fin du soutien aux dictatures du continent ; retrait de l’opération Barkhane).
- La volonté de donner à la France un rôle majeur dans la résolution des conflits et des tensions dans le monde (cf. organisation d’une conférence européenne sur les frontières ; relance des processus de désarmements nucléaires et des négociations de paix au Proche-Orient).
Parmi toutes ces propositions, l’organisation d’une conférence européenne sur les frontières dans le cadre de l’OSCE interroge particulièrement du fait des multiples déclarations du candidat de l’Union Populaire : « Je ne suis pas d’accord pour que l’on en fasse un ennemi, je ne suis pas d’accord avec le fait que l’on ait trahi la parole que l’on avait donnée aux dirigeants russes. Les Russes mobilisent à leurs frontières ? Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil, un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? Si vous me demandez de détailler les causes qui nous ont conduits à cette situation, alors je vous dirai que le refus obstiné de discuter de cette présence de l’OTAN à la porte de la Russie est la cause profonde du sentiment qu’a eu Monsieur Poutine du sentiment que nous nous apprêtons à l’agresser« .
Cette reprise du narratif russe, concernant le conflit en Ukraine, et plus largement les relations entre l’Occident et la Russie fait fi de nombreuses réalités :
- La souveraineté de l’Ukraine consacrée par des événements internes (cf. référendum d’indépendance de 1991, révolution de Maïdan de 2014 et l’inscription dans la Constitution de l’adhésion à l’OTAN et l’UE depuis 2019) et des accords internationaux (cf. mémorandum de Budapest en 1994, accords de Minsk I et II 2014-2015).
- L’extension de l’OTAN vers l’Europe de l’Est relève principalement de la volonté de ces pays de se protéger de l’influence du Kremlin.
- La politique expansionniste de V. Poutine dans les pays de l’ex-URSS (Géorgie, Moldavie et Ukraine) marquée par des objectifs historiques, démographiques et est liée au contrôle de ressources.
Comme l’ont montré les événements des derniers jours, l’intérêt de la France n’est pas de cautionner une mise sous tutelle d’une démocratie par une dictature sur le continent européen.
Le candidat Mélenchon affiche également la volonté de participer activement au développement de l’Afrique, ce qui est louable. Toutefois, il n’évoque nulle part la perte d’influence française dans la région au profit de concurrents comme la Chine (relations commerciales, matières premières) ou la Russie (Wagner au Mali, Mozambique, etc.), faisant fi de la préservation d’intérêts français pourtant essentiels et de la souveraineté des Etats africains qu’il invoque pourtant pour condamner Barkhane.
Le programme de la France Insoumise propose également une hausse du budget du Quai d’Orsay, ce qui est plutôt positif, après des années d’austérité (cf. 10 % d’effectifs en moins depuis 2007) mais sans en préciser les montants. Enfin, sous la présidence de Jean-Luc Mélenchon, la suppression du corps diplomatique serait annulée.
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Une volonté de construire un autre modèle de défense
2.1. La conscription universelle comme socle d’un nouveau lien Nation-armée
La mesure phare proposée par Jean-Luc Mélenchon est le retour de la conscription obligatoire et universelle. Elle serait l’opportunité d’apporter une solution à « l’expulsion du peuple de la gestion des questions de sécurité et de défense et contre la précarisation généralisée de la jeunesse ». Concrètement, chaque Français (18-25 ans) serait obligatoirement conscrit pour une durée de 9 mois. Ce service débuterait par une FMI (formation militaire initiale : maniement des armes, combat PROTERRE…) et serait enrichi dans les 9 mois par d’autres formations ponctuelles auprès de la police, des pompiers et de la sécurité civile. Le programme mentionne toutefois la fameuse objection de conscience qui permit à partir de 1963 à de nombreux jeunes Français « d’échapper » à la Caserne. Cependant, aucun chiffrage n’est avancé par la France Insoumise, or un retour à une forme de service militaire pourrait être extrêmement coûteux. Par exemple, l’IFRAP (think-tank libéral) estime que le coût annuel de la réserve militaire est de 400 millions d’euros et les dépenses liées au SNU créé par l’actuel gouvernement s’élèvent à 1,5 milliard d’euros. La Garde nationale ne concerne toutefois que 77 000 réservistes pour un engagement se limitant à quelques semaines par an, tout comme le SNU en termes de durée. Les frais de fonctionnement du service citoyen de Jean-Luc Mélenchon seraient beaucoup plus importants en raison d’une durée d’engagement supérieure (9 mois contre 30 jours par an pour la réserve) et d’un public visé plus large. De plus, le ministère de la Défense ayant dissous en 1996 puis en 2008 près de 60 régiments (vendant les infrastructures attenantes), il faudrait impérativement investir dans de nouvelles casernes ainsi que dans un nouvel encadrement. Par conséquent, la mesure du candidat Mélenchon apparaît extrêmement coûteuse et n’aura pas d’effets positifs sur l’autonomie stratégique française.
Ces effectifs issus de la conscription pourraient être mobilisés pour la protection du territoire ou faire face à des catastrophes naturelles. L’actuelle Garde nationale serait donc supprimée au profit d’une nouvelle réserve, issue du service citoyen. Cette volonté va de pair avec la proposition de mettre fin à la mission Sentinelle, opérée en grande partie par la réserve de l’armée. Selon l’Avenir en Commun, Sentinelle « repose sur l’idée d’un quadrillage total du territoire qui permettrait aux soldats d’intervenir en cas de nécessité. » Cette opération est qualifiée d’« illusoire : la lutte contre les attentats ne saurait être une affaire de prise en flagrant délit » le candidat insoumis lie également Sentinelle avec une « tendance dangereuse à la confusion entre sécurité publique et défense ». Il est important de rappeler que Sentinelle n’a pas directement vocation à être une force antiterroriste d’intervention comme peuvent le sous-entendre ces extraits, pas plus qu’elle n’a vocation à être un outil du maintien de l’ordre. Elle n’est d’ailleurs pas utilisée comme tel. Cette opération repose d’abord sur l’emploi de l’armée comme force de dissuasion et non pas comme un outil d’intervention. Toutefois, elle a la capacité d’agir quand la situation l’exige. Ainsi, en 2017, un réserviste mobilisé dans le cadre de Sentinelle neutralisa un terroriste dans la gare Saint-Charles (Marseille). Enfin, Jean-Luc Mélenchon souhaite donner la capacité aux conscrits qui le souhaiteraient de prolonger leur service militaire.
2.2. La fin du « domaine réservé » au profit de la prépondérance du pouvoir législatif, en matière de défense
Le candidat insoumis considère que l’action du pouvoir exécutif doit être beaucoup plus contrôlée : « La 6e République que nous voulons, devra rendre aux citoyens et au Parlement un plus grand pouvoir d’initiative et de contrôle, y compris en matière de défense nationale. » Dans la VIe République de Jean-Luc Mélenchon, les OPEX seraient soumises à un vote des parlementaires tout comme les ventes d’armements via un contrôle a posteriori. Ces propositions sont en ruptures profondes avec le cadre de la Ve République. Actuellement, le président de la République peut engager les forces armées unilatéralement et est seulement tenu d’informer les parlementaires de sa décision dans un délai de 3 jours et de soumettre la prolongation de l’opération au vote du parlement (cf. après 4 mois). Le déroulement, la stratégie, et l’organisation des opérations est par ailleurs soumis au secret de la défense nationale. Dans un souci de transparence, Jean-Luc Mélenchon aborde l’idée d’une réforme du secret de la défense nationale. Si cette volonté de démocratiser un système opaque peut être appréciée, cet outil demeure aujourd’hui le garant de la sécurité de nos opérations et de la préservation de notre compétitivité industrielle (cf. de nombreux dossiers industriels y sont également soumis). La proposition reste floue et sera peut-être clarifiée dans les semaines à venir.
2.3. Un contrôle accru de la puissance publique sur le complexe militaro-industriel
Concernant l’industrie de défense, Jean-Luc Mélenchon propose la constitution d’un « pôle public de l’armement » qui permettrait la réaffirmation du principe de priorité nationale dans l’acquisition de matériels, et qui agirait pour mieux protéger les entreprises françaises face aux « prises de contrôles étrangères ». Nul doute que cela fera sourire les soldats nostalgiques du FAMAS, remplacé par le HK 416 allemand. Le député des Bouches-du-Rhône promet également une réduction des exportations compensée par un surcroît de commande publique. Or, cette proposition semble difficilement applicable économiquement, puisqu’en 2021, la France a exporté pour 28 milliards d’euros de matériel militaire. De plus, sur le plan diplomatique, cela se traduirait par un recul de l’influence française, car il faudrait renoncer à certains partenariats stratégiques négociés durant les dernières années (cf. Egypte, Grèce, Indonésie, etc.). Enfin, la notion de « pôle public de l’armement » reste floue, la possibilité d’une nationalisation complète d’entreprises comme Dassault ou Thalès ne peut être exclue.
2.4. Une nouvelle loi de programmation militaire axée sur de nouvelles priorités
La France Insoumise propose de réécrire un livre blanc qui serait le socle d’une nouvelle loi de programmation militaire afin de transformer le modèle militaire français :
- S’adapter au réchauffement climatique et à l’extinction progressive des énergies fossiles (matériel, renseignement, formation des militaires).
- Renforcer la protection des militaires (sécurité sociale avec le maintien du régime de retraite spécifique, meilleur accompagnement psychologique, lutte contre le bizutage).
- Revoir le modèle de projection des armées françaises (sans donner de précisions supplémentaires) et réviser les doctrines militaires actuelles.
- Renforcer les moyens liés à la guerre économique (formation des acteurs, moyens accrus pour le renseignement).
- Une interrogation sur la dissuasion nucléaire, au profit d’une vague dissuasion spatiale, du fait de la possibilité de détecter les sous-marins lanceurs d’engins via les réseaux de câbles sous-marins. Cependant, cette perspective reste lointaine et semble peu probable actuellement.
- https://www.lefigaro.fr/international/en-cas-d-attaque-d-un-pays-membre-de-l-otan-l-article-5-de-defense-collective-est-il-automatique-20220214
- https://laec.fr/sommaire
- https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/defense/
- https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/zemmour-le-pen-melenchon-les-ambiguites-des-candidats-face-a-la-russie-de-vladimir-poutine_4981164.html
- https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/cout-de-la-garde-nationale#:~:text=Le%20gouvernement%20pr%C3%A9voit%20une%20enveloppe,an%2C%20pour%20l’Etat.
- https://www.capital.fr/economie-politique/la-lourde-facture-du-nouveau-service-national-1342445
- https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/elysee-2022-les-sous-marins-sont-devenus-detectables-selon-jean-luc-melenchon-lfi-903268.html
- https://www.latribune.fr/economie/france/presidentielle-2022/de-la-siberie-au-sahel-les-pieges-russes-pour-la-france-904386.html