Analyse du programme « Défense et Diplomatie » de Valérie Pécresse

Analyse du programme « Défense et Diplomatie » de Valérie Pécresse

Auteurs : Maël Kebabsa et Jean Cannesant

L’association AthénAix Défense Sécurité Géostratégie n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises ici : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

  1. Une politique étrangère au service de la souveraineté de la France

          A la fin du mois de février, et moins d’une semaine après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Valérie Pécresse tenait au siège de sa campagne un « conseil stratégique de défense », réunissant quelques anciens ministres et parlementaires. C’est Michel Barnier, ex-commissaire européen et candidat à la primaire de la droite qui dirige la cellule chargée des questions internationales au sein de l’équipe de campagne. Cette cellule est composée de parlementaires issus des commissions affaires étrangères et défense des deux chambres. Le député Marc le Fur est chargé de l’Afrique, il a conseillé la candidate lors de la crise malienne début 2022, et était chargé d’organiser sa visite au Sénégal finalement avortée. En outre, Madame Pécresse reçoit en coulisse Thierry Dana, ancien ambassadeur du Japon, qui lui apporte son expertise. C’est donc ce groupe de réflexion qui a élaboré, dans un contexte de crise au Sahel et de guerre en Ukraine, le programme diplomatique de Valérie Pécresse. Il repose sur l’autonomie stratégique européenne, en renforçant le poids de la France dans l’UE par le biais de coopérations approfondies. Il vise par ailleurs à renforcer l’indépendance nationale afin d’être en mesure de s’affirmer comme un interlocuteur crédible face aux grandes puissances, dont la Chine et la Russie.

1.1. Renforcer le poids de la France dans l’UE

Madame Pécresse propose d’abord le refus de tout nouveau transfert de compétences au sein de l’Union européenne. Autrement dit, elle s’oppose au fait d’attribuer à l’Union des pouvoirs que les États préfèrent exercer seuls, pour consolider le fonctionnement actuel de l’Union. Elle souhaite aussi bloquer tout nouvel élargissement de l’UE et donc mettre fin officiellement aux négociations avec la Turquie. Candidate depuis 1987, officiellement reconnue en 1999, la perspective de son entrée dans l’Union a suscité de vifs débats (cf. pays musulman, géographie, démographie, proximité avec l’Allemagne). Cependant, le durcissement du régime d’Erdogan depuis ces dernières années a éloigné la perspective d’une adhésion turque. On note également le refus de l’élargissement de l’espace Schengen et sa renégociation, afin de permettre plus de contrôle.

La candidate Les Républicains propose de « refonder la politique d’immigration européenne ». Elle souhaite renforcer les compétences des États membres en matière migratoire, afin de garantir une meilleure maîtrise des frontières, notamment en renforçant Frontex, l’agence chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen, avec l’engagement de 10 000 garde-frontières supplémentaires. Une mesure interpelle tout de même dans son programme de maîtrise des flux migratoires : les demandes d’asiles qui devront s’effectuer dans les représentations diplomatiques françaises. Or, cela soulève plusieurs difficultés, comment appliquer cette proposition dans un pays en guerre ou instable ? De plus, les effectifs du Quai d’Orsay ne sont absolument pas dimensionnés pour de telles missions. Il conviendrait donc d’augmenter le nombre d’emplois publics, mais Valérie Pécresse a promis de supprimer 200 00 postes de fonctionnaires.

Le projet européen de Valérie Pécresse repose aussi sur une coopération accrue sur le plan industriel et de la recherche, pour acquérir une plus grande indépendance européenne en matière technologique, énergétique ou alimentaire ; elle est d’ailleurs opposée au projet « Farm to fork » de la Commission européenne. De grands projets européens seraient lancés sur l’hydrogène, les semi-conducteurs et les plastiques d’avenir. Sa solution, pour surmonter les nombreux blocages au Conseil européen est la mise en place de coopérations renforcées.

Rappelons tout de même que ces projets de coopération bilatérale ne sont pas exempts de difficulté dans leur mise en œuvre, comme l’illustrent les projets d’armement entre la France et l’Allemagne.

Enfin, Madame Pécresse désire développer des projets et ambitieux avec les États du Sud de l’UE. Elle cite les secteurs de l’énergie, avec la promotion du photovoltaïque, le tourisme, la politique agricole commune, les relations avec l’Afrique et l’immigration, ou encore la relance de l’Union pour la Méditerranée. Fondée en 2008 sous l’initiative de Nicolas Sarkozy, l’UPM est une organisation intergouvernementale qui regroupe 43 pays, dont les 27 membres de l’UE basée sur une co-présidence entre les rives nord et sud de la Méditerranée et dont l’objectif est de promouvoir le dialogue et la coopération dans la région euro-méditerranéenne. Toutefois, l’UPM n’a pas fait preuve d’une grande efficacité depuis sa création.

1.2. Défendre les intérêts stratégiques de la France dans le monde

Le projet de la candidate Pécresse est de pérenniser les outils stratégiques français, afin de peser dans la compétition mondiale.

Elle souhaite développer l’autonomie stratégique et militaire de l’Europe, en parallèle de l’OTAN, pour s’émanciper de l’influence américaine. Si la nécessité d’un approfondissement apparaît réellement pertinente, il ne faut pas pour autant perdre de vue les réticences de nombreux partenaires (cf. pays baltes, Pologne, Allemagne, pays scandinaves), de surcroît dans un contexte où l’OTAN apparaît plus que jamais nécessaire vis-à-vis de la Russie.  Valérie Pécresse évoque aussi l’extraterritorialité du droit américain et l’hégémonie du dollar concernant les transactions financières. Ce sont des questions majeures, car ces deux leviers permettent aux États-Unis d’appliquer les dispositions du droit américain en dehors de leurs frontières, donc aux entreprises étrangères qui utilisent le dollar dans leurs échanges. Par exemple, une compagnie aérienne française achètera ses avions à un constructeur aéronautique européen en dollars, et verra donc un certain contrôle des États-Unis sur ses échanges. En outre, selon elle, la nécessité de préférence européenne dans les commandes publiques s’impose via un Buy European Act.

Si la candidate de la droite souhaite instaurer un dialogue se voulant ferme avec la Chine, elle désire avant tout contrer l’hégémonie de la seconde puissance mondiale. Pour cela, sa solution est le soutien aux pays asiatiques qui partagent les valeurs occidentales de démocratie, dont font partie Hong-Kong et Taïwan. De surcroît, elle prévoit dans son programme de soutenir une entente avec les pays de la zone Indopacifique, dont l’Inde, le Japon et l’Australie afin d’étendre l’influence de la France. Dans cet esprit, elle se dit opposée et veut abolir l’accord commercial UE-Chine conclu le 30 décembre 2020. Le pacte d’investissement est cependant suspendu depuis mai 2021, du fait des accusations de violations des droits de l’homme formulées contre Pékin. Si Madame Pécresse applique la préférence européenne, elle est également favorable au principe de réciprocité dans les échanges. Une position qui peut se révéler difficile à assumer devant le consommateur français, qui risque de voir ses choix, autant que son pouvoir d’achat, se réduire. Aussi, des pays européens ont déjà sauté le pas en accueillant des investissements chinois dans le cadre des routes de la soie (cf. Hongrie, Italie, Grèce).

Avant le début de la guerre d’Ukraine, Valérie Pécresse, russophone et qui a travaillé un temps à l’ambassade de France en Russie, affirmait vouloir « renouer le dialogue entre l’UE et la Russie, et renforcer les relations bilatérales entre Paris et Moscou ». Elle estimait que ne pas dialoguer avec la Russie était une faute. Elle souhaitait organiser une conférence sur la sécurité en Europe, qui aurait pu déboucher sur un conseil de sécurité paneuropéen, sans présence américaine, dans une démarche d’autonomie stratégique de l’Union. Cette proposition initiale était, toutefois, peu réaliste du fait de l’hostilité, légitime, d’un grand nombre de pays européens vis-à-vis de la Russie. Par exemple, en juin 2021, Angela Merkel et Emmanuel Macron avaient échoué à organiser un sommet UE-Russie en raison du refus de nombreux Etats membres. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a conduit Madame Pécresse à se positionner sans ambiguïté contre les agissements de Moscou et à condamner fermement cette attaque. D’autant que François Fillon (ex Premier ministre LR) a été accusé de complaisance et de compromission avec la Russie pour avoir intégré les conseils d’administration de deux géants russes de la pétrochimie connus pour être proches du Kremlin. Madame Pécresse affirme vouloir continuer à durcir les sanctions prises par l’UE, et n’hésite pas à fustiger ses adversaires, russophiles à la présidentielle en surnommant les deux candidats de droite radicale « Marine Poutine » et « Vladimir Zemmour ».

Enfin, Valérie Pécresse fait le constat d’une France dont l’influence se serait détériorée, notamment en Afrique. Pour cela, elle propose de réorienter l’Agence française de développement vers le continent africain, au détriment de ses investissements dans les pays émergents (cf. Chine, Turquie, Inde). Cependant, elle veut conditionner ces aides au développement aux pays du Sud, au retour des immigrés illégaux dans leur pays d’origine. Ce type de mesure exige bien entendu de la prudence, car l’on sait que ces zones sont fragilisées et soumises à des tensions du fait de leur faible développement, qui favorise l’extension de la corruption, du banditisme voire du terrorisme.

En outre, Madame Pécresse indique dans son programme vouloir renforcer les moyens consacrés à la francophonie, pour en faire un levier de coopération économique, technique et culturelle dans le monde. Malgré le flou de la proposition, cela reste évidemment pertinent, puisque la langue française compte 300 millions de locuteurs dans le monde, un nombre qui devrait doubler d’ici 50 ans. On regrette d’ailleurs que peu de candidats ne l’évoquent dans leurs programmes.

  1. Un programme alliant une continuité stratégique et le renforcement des budgets alloués aux armées

2.1. Des moyens accrus pour la défense française afin de gagner en autonomie stratégique

Valérie Pécresse souhaite augmenter les crédits alloués à la défense nationale, afin de construire un modèle d’armée quantitatif et « complet » d’ici 2030, capable de faire face à un confit de haute intensité. Pour cela, elle souhaite renouveler les outils d’analyses français avec un nouveau livre blanc reposant sur une vision à moyen et long terme (2030-2050). Une nouvelle loi de programmation militaire serait votée pour atteindre un budget de 65 milliards d’euros en 2030, soit une augmentation annuelle de 3 milliards par an. La priorité de cette nouvelle LPM serait de combler les « trous capacitaires », évoqués par le rapport parlementaire Mirallès-Thiériot (février 2022), pour un coût total de 6 milliards d’euros :

  • La reconstitution des stocks de munitions pour garantir une capacité de projection.
  • L’augmentation des formats pour les armées de terre (cf. artillerie, chars, radars), de l’air (cf. compenser les rafales exportés) et la marine nationale (cf. frégates et patrouilleurs).
  • Développer la robotisation et accroître l’utilisation des drones.
  • Renforcer les moyens « cyber » et du renseignement.

Cette volonté de renforcer les moyens budgétaires du ministère des Armées est à saluer, tout comme l’accent mis sur la nécessité de consolider les stocks de munitions et de moderniser les équipements, dans un contexte de retour à la guerre conventionnelle en Europe (cf. le rapport Mirallès-Thiériot qui alerte sur les manques quantitatifs des armées françaises). Néanmoins, les engagements de Mme. Pécresse s’inscrivent dans la durée, au-delà même du prochain quinquennat, par conséquent, ils nécessiteront une volonté politique extrêmement solide pour assurer la mise en application de ses propositions.

La candidate des Républicains confirme également vouloir maintenir les spécificités du modèle de défense français :

  • La dissuasion nucléaire comme l’outil central de la défense nationale, elle annonce d’ailleurs « ne pas vouloir la partager ou la diviser ».
  • Le refus de l’application des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne concernant le temps de travail des militaires.
  • La confirmation de la construction du PANG (cf. porte-avion de nouvelle génération) pour remplacer le Charles de Gaulle.

Valérie Pécresse souhaite aussi faciliter le quotidien des militaires et de leurs familles (cf. accès prioritaire aux logements et aux crèches, mobilité géographique) ; tout en améliorant la prise en charge psychologique des blessés ou des familles endeuillées (développement des maisons ATHOS).

Cependant, malgré ces qualités, le programme des Républicains n’évoque pas les questions importantes comme l’amélioration du fonctionnement des Armées, l’attractivité des métiers et la coordination entre les différents acteurs de l’écosystème de défense français (cf. le rapport « Repenser la défense face aux crises du XXIe siècle » de l’Institut Montaigne).

2.2. Une position traditionnelle de soutien à l’OTAN et à l’Europe de la défense

La candidate Pécresse assume sa continuité avec les positions historiques de la France. Elle assure vouloir demeurer dans le commandant intégré de l’OTAN, au motif qu’il reste « un outil d’influence, d’interopérabilité et d’efficacité pour nos forces armées. ».  Elle a aussi critiqué les positions passées du président de la République concernant l’alliance atlantique : « What we are currently experiencing is the brain death of NATO », 7 novembre 2019, The Economist. Cependant, la présidente de la région Île-de-France insiste également sur la garantie de l’indépendance française, du fait de l’article 5 du traité de l’Atlantique nord.

Valérie Pécresse ambitionne de « construire » un pilier européen de défense, en complément de l’OTAN, afin de renforcer l’autonomie stratégique de l’Union. Elle se déclare favorable à des coopérations renforcées en matière de défense, malgré sa volonté de renégocier les programmes SCAF et MGCS, tout en élargissant les possibilités de partenariats avec d’autres pays (cf. Italie, Belgique, Espagne et même le Royaume-Uni).

Enfin, la candidate des Républicains propose de renforcer le fonds européen de défense créé en 2021 qui est actuellement doté de 7,9 milliards d’euros. Cette initiative, portée de longue date par la France, a initialement été rabotée de 5 milliards d’euros en raison des négociations liées au plan de relance « Next Gen » décidé en juillet 2020 à Bruxelles, pour faire face aux effets socio-économiques de la pandémie de Covid-19. Si cette proposition est louable, elle semble difficilement réalisable en raison de la procédure d’élaboration du budget communautaire (cf. consensus au Conseil européen, vote du parlement, impératif d’équilibre budgétaire). L’autre mesure de Valérie Pécresse, en la matière, est d’exclure les dépenses de défense du calcul des déficits budgétaires par l’Union européenne. Si cette proposition est ambitieuse, elle bénéficie d’un contexte favorable (cf. guerre en Ukraine, réarmement massif des pays « frugaux » comme l’Allemagne, la Suède ou le Danemark, suspensions des critères de Maastricht depuis mars 2020), qui pourrait amener à son application.

2.3. La préservation de l’industrie de défense pour renforcer la souveraineté nationale

La candidate de droite se fixe comme objectif de soutenir puissamment l’industrie de défense française, au nom de l’indépendance nationale. Cela passe, selon elle, par un soutien diplomatique accru aux exportations via le réseau des ambassades française à travers le monde ; mais également par le refus de l’exclusion du secteur de l’armement de la taxonomie sociale et du label finance durable préparés par la Commission européenne. Dans cette optique, la présidente de la région Île-de-France propose un Buy European Act pour privilégier la production européenne en termes de commandes publiques. Valérie Pécresse souhaite aussi favoriser la recherche avec une réforme de l’Agence de l’innovation de défense (AID) consistant à développer les appels à projets et en simplifiant les procédures d’achat public. Elle propose également de favoriser les rapprochements entre start-ups, PME et grandes entreprises. Enfin, Valérie Pécresse est favorable à la coopération européenne, en matière de défense, mais sous certaines conditions (cf. liberté d’exportation, maintien des actifs stratégiques, coûts de production acceptables et adaptation aux besoins opérationnels). Cette volonté de soutenir la filière d’armement française est à saluer, puisqu’elle joue un rôle majeur dans l’autonomie stratégique de la France. Toutefois, la proposition d’établir un Buy European Act peut être analysée avec scepticisme, car de nombreux présidents français, dont l’actuel, ont échoué sur ce point.

2.4. La volonté d’une réforme organisationnelle des armées

Le programme de la candidate des Républicains propose plusieurs changements importants concernant l’engagement des forces militaires :

  • Un changement du format des OPEX avec une projection rapide fondée sur le modèle de l’opération Serval (cf. engagement de la France au Mali entre janvier 2013 et août 2014).
  • Le renforcement de la réserve militaire avec l’augmentation du nombre de contrats opérationnels.
  • L’augmentation des effectifs stationnés en outre-mer pour mieux protéger notre ZEE.
  • La réduction du format de l’opération Sentinelle qui serait ramenée au strict minimum afin de consacrer plus de temps à l’entraînement des soldats.

Enfin, le SNU serait supprimé et en compensation, pour préserver le lien armée-Nation, le dispositif CDSG (classes défense et sécurité globales) serait renforcé.


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